Crise sanitaire: pour nous, les maires, les Français ne sont pas qu’une donnée statistique
Le manque d’anticipation du gouvernement dans cette pandémie est regrettable et semble être en partie une conséquence d’une trop grande centralisation du pouvoir. Je suis de ces quelques dizaines de maires de nos provinces qui, par arrêté, ont pris la décision d’ouvrir les commerces que le gouvernement ne juge pas «essentiels», comme peut-être la vie de ceux qui les tiennent.
Nous avons été vilipendés par le Premier ministre, nos commerçants aussitôt menacés de verbalisation par les forces de l’ordre, avant même que les arrêtés soient déférés à la juridiction administrative. Pourtant, depuis huit mois, nous n’avons pas baissé la garde. Au contraire, nous avons, bien souvent, paré aux carences de l’État. Gouverner, c’est prévoir. L’exercice est ardu et, à l’instar du peintre Monet, je préfère au conseil la démonstration par l’exemple.
Depuis longtemps, j’ai sonné l’alarme sur les dépendances stratégiques de notre économie. Nous les avons mesurées à l’aune de la crise sanitaire: pas de masques, pas de tests, pas de vaccins. Un pays moderne s’est retrouvé dans la situation d’un pays du Tiers-monde. L’Inde et la Chine produisent 80 % des principes actifs pharmaceutiques mondiaux. L’heure est, certes, à la relocalisation, au plan de relance, à la protection des secteurs stratégiques. Même l’Union européenne après des années de cécité et d’irénisme, fait son aggiornamento!
Mais si tard! La crise a révélé avec cruauté que le marché sans la régulation par l’État ne coïncide pas avec l’intérêt général. Ceux qui ont, depuis tant d’années, fait le choix de promouvoir le libre-échangisme et de ne pas brusquer certains partenaires commerciaux cyniques et brutaux, le mesurent aujourd’hui. Mais la facture est pour notre peuple, quand, partout, les États privilégient, aux exportations de leurs industries la fourniture des médicaments produits sur leurs territoires à leurs citoyens.
Nos gouvernements nous ont d’abord appris que les masques ne servaient à rien… tant que nous n’en avions pas: les stocks de 2011 n’avaient pas été renouvelés pour des raisons budgétaires. Il y a des dépenses qui rapportent, et des économies qui coûtent chers! Ce sont les collectivités locales qui ont alors suppléé un État défaillant, comme dans la fourniture des vêtements médicaux nécessaires aux centres de consultations Covid-19 que nous avons, avec l’aide de nos médecins de villes, ouverts dans nos communes. Çà et là, des préfets ont d’ailleurs essayé de mettre la main sur ce que nous avions acheté ou que nous avions obtenus d’entreprises-mécènes.
Pas plus d’anticipation de l’État dans l’accueil des patients, faute de lits de réanimation et de personnels formés en nombre suffisant, alors même que l’État sait, depuis longtemps, que nous ne sommes pas non plus à l’abri de menaces terroristes bactériologiques. Et c’est tardivement que cliniques et laboratoires privés ont été sollicités pour épauler les hôpitaux publics, épuisés par des années de malthusianisme budgétaire.
Nos arrêtés ont dressé la liste des incohérences et des violations de textes fondamentaux du décret sur l’état d’urgence. Fermer un coiffeur ou un libraire qui peut accueillir un à un ses clients, ou un restaurateur qui a pris toutes les mesures sanitaires requises alors qu’on ouvre des établissements scolaires dotés de classes de plus de trente élèves, qu’on laisse des milliers d’immigrés clandestins ou de Guinéens manifester dans les rues de Paris, ne sont pas les moindres de ces incohérences. Il est, c’est vrai, plus facile de confiner, chez eux, des Français honnêtes, que d’enfermer ceux qui menacent notre nation, violent nos lois ou détournent le statut de réfugié.
Depuis les lois de décentralisation, le service public a progressé en France. Mais surtout dans nos collectivités: lycées et collèges sûrs et modernes, mise en place d’outils de développement économique de nos territoires, politiques sociales, culturelles et sportives audacieuses, sont à notre actif. Et quand nos villes sont dotées d’un hôpital, c’est à la tête de son Conseil de surveillance qu’un maire pilote sa stratégie et lutte contre les restrictions budgétaires inlassablement imposées par les Agences Régionales de Santé.
À la différence de l’État, nous connaissons les Français. Nous recevons les chômeurs en fin de droits, l’adolescent qui cherche un stage, la mère qui élève seule et sans revenus ses enfants. Pour nous, les Français ne sont pas des données statistiques.
La Constitution, en son article 72, rappelle que «les collectivités locales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon». C’est ce que nous revendiquons: concilier, chez nous, l’exercice des libertés économiques et publiques, conformément à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui protègent la liberté du commerce, le droit de la concurrence, l’égalité de tous devant la loi, la liberté du culte, avec le respect de règles sanitaires que nous avons, souvent chez nous, durcies.
Ce n’est pas la première fois, dans notre histoire, que les collectivités locales et les provinces se dressent face à un État injuste et inefficace. La colère gronde. L’incompréhension est partout. Ce n’est pas sans nous que l’épidémie sera jugulée. Car elle ne peut l’être sans notre capacité d’entraînement et notre capital de confiance qui fait tant défaut à un Pouvoir exécutif isolé, qui dénie même au Parlement son droit de contrôle.
Le Conseil constitutionnel, saisi par un passeur niçois d’immigrés clandestins, a consacré en juillet dernier le «principe de fraternité», auquel s’est adossée la Cour de cassation pour annuler sa condamnation. La liberté d’aider autrui vaut bien, aussi, pour ces travailleurs qui redeviennent «essentiels» à l’État quand ils paient leurs impôts.
Cet article a également également fait l’objet d’une publication par le figaro vox (lien).