Immobilier : les crédits d’aujourd’hui sont les travaux de demain.
Par David Lisnard, maire de Cannes, Président de Nouvelle-Energie, Viviane Chaine-Ribeiro, Présidente de la FTPE[1], Vice-Présidente de Nouvelle-Energie, Ex-Présidente de Action Logement Immobilier et Yves d’Amécourt, Vice-Président de la FTPE, ancien conseiller général de Gironde, ancien maire de Sauveterre-de-Guyenne.
La production de nouveaux crédits à l’habitat a encore chuté en février (-40 % par rapport à février 2022). Le taux d’usure est désormais recalculé tous les mois dans le but de débloquer le marché des crédits. Mais le problème se situe ailleurs : dans les critères du Haut conseil de stabilité financière (présidé par Bruno Le Maire) imposés aux banques depuis le 1er janvier 2022 qui les empêchent de prêter aux particuliers (personne physiques et SCI) :
- Le montant total de l’endettement rapporté aux revenus ne doit pas excéder 35% ;
- L’endettement ne doit pas excéder 27 ans ;
- La possibilité d’y déroger ne doit pas excéder 20% des dossiers de crédits pour chaque banque.
Ces critères ne dérangeaient personnes tant qu’il s’agissait de « préconisations ». Ces règles d’usage n’empêchaient pas chaque établissement d’apprécier au cas par cas. Mais depuis le 1er janvier, elles sont devenues obligatoires.
Dans le crédit comme ailleurs, l’administration de notre pays soi-disant « ultra-libéral » met sous tutelle les professionnels et les acteurs de terrain pour leur imposer son dogme et sa vision. C’est devenu monnaie courante en France : pour empêcher les abus ou les accidents de quelques-uns, on inflige à tous une protection déraisonnable a priori. Comme nos administrations confondent le danger et le risque, elles posent des barrières à chaque fois qu’il y a un risque, croyant protéger d’un danger.
Ainsi, un ménage qui souhaite acquérir un bien immobilier avec l’objectif de le louer devra se plier aux mêmes règles qu’un ménage qui achète sa première maison pour l’habiter, à savoir « un montant d’endettement rapporté aux revenus, de 35% maximum ». Autant dire que l’équation est impossible. Dans l’immobilier locatif, le taux d’effort est de 70 à 100% : les loyers perçus permettent de rembourser tout ou partie de l’opération.
Depuis le mois de janvier 2022, 60 à 80% des particuliers porteurs de projets immobiliers sont ainsi exclus de l’accès au crédit ! Quand nos parlementaires produisent des lois, nos bureaucraties, « autorités », « agences », et « haut-conseils », produisent les règlements qui les contredisent, et vice-et-versa.
Le président de la République avait annoncé au début de son premier mandat « un choc de l’offre de logements » : le choc a eu lieu, mais pas dans le sens attendu. On ne peut en même temps appeler à la construction et pénaliser la construction. Les effets délétères de la trajectoire de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en sont une expression récente qui va accentuer la pénurie de foncier disponible, donc générer une forte inflation du mètre carré constructible. Les mêmes contradictions d’affichages et de mesures pèsent sur la réhabilitation, avec dans les faits une raréfaction des prêts.
D’ici 2028, le gouvernement veut éradiquer toutes les « passoires thermiques ». Il s’agit des logements les plus énergivores, classées F et G sur le diagnostic de performance énergétique Il y en a « 7 à 8 millions » selon la FNAIM. La plupart sont dans le parc privé, la moitié en location.
Depuis ce 1er janvier, tous les logements dont la consommation énergétique excède les 450 kWh/m²/an sont interdits à la location. Mais, dans le même temps, alors que le coût des travaux augmente, l’Etat empêche les banques de prêter aux propriétaires-bailleurs porteurs des projets de rénovation énergétique.
Pour s’en sortir, si l’Etat laissait les banques faire leur métier ?
Une méthode simple serait de :
- Revenir sur la décision d’imposer aux banques les critères du HCSF. Laisser les banques louer de l’argent à des investisseurs en capacité de le rendre au cours de leur projet et d’en payer le loyer ! Les banques sont équipées pour cela. La façon dont l’Etat intervient dans les métiers des uns et des autres est devenue insupportable et contre-productive ;
- Supprimer la publication du taux d’usure et laisser jouer la libre concurrence pour que les taux d’intérêt soient soumis au marché, plutôt que de les plafonner avec un taux d’usure et de s’apercevoir qu’à peine publié, le plafond est trop bas. Lorsque la demande diminue, la meilleure façon de faire baisser les prix, c’est justement la libre concurrence ;
- Revoir la politique de distribution des aides à la pierre pour permettre l’équilibre financier des projets de rénovation dans le parc privé locatif conventionné dans les zones rurales ;
- Sanctionner les particuliers ou les établissements bancaires qui abusent du système ;
- Accompagner les particuliers qui sont en situation de surendettement, comme le font déjà la Banque de France qui anime les commissions de surendettement et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) ;
L’enjeu est de taille. Se priver de l’investissement des particuliers dans l’immobilier locatif est un non-sens dans une France qui a plus que jamais besoin de croissance, besoin de construire, de rénover, d’isoler, de conventionner, pour mettre à disposition des logements dans le parc privé.
L’artisanat du bâtiment regroupe plus de 400000 entreprises qui emploient 1,1 million de salariés. Or, les crédits d’aujourd’hui, sont les travaux de demain. Il y a fort à parier que, dans quelques mois, après celui des banques, le carnet de commande des artisans ne se vide lui aussi… Le gouvernement serait bien inspiré de rouvrir l’accès au crédit, avant de ne perdre définitivement le sien. Pour cela il y a un chemin peu emprunté jusqu’ici : la liberté !
[1] FTPE : Fédération des Très Petite Entreprises